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je-double
14 mars 2010

Le cimetière sous-marin

Le_cimeti_re_sous_marin

Quand le chien, tout fou, était parti  vers le lac, elle ne l’avait pas arrêté. Cela faisait deux jours qu’il n’était pas sorti et manifestement il en avait besoin. Il s’était arrêté non loin des trois saules et l’attendait en aboyant. Elle le rejoignit un peu plus tard mais son footing du matin lui paraissait de plus en plus difficile. Bientôt elle ne pourrait plus courir ; d’ailleurs, courait-on quand on était enceinte de trois mois ? Et si l’on courait comme une dératée, n’était-ce pas pour décrocher son enfant ? C’est ce que sa mère lui avait fait remarquer méchamment. L’enfant était là, elle sentait qu’il commençait à prendre de plus en plus de  place alors qu’elle n’en avait pas assez.
Le chien continuait d’aboyer près des saules ; elle arriva à sa hauteur essoufflée.
- Qu’est-ce que tu veux Titus ?
Il regardait le lac, un point fixe non loin du rivage. Elle accommoda le reflet du ciel dans l’eau tranquille, cligna des yeux, mais non, elle ne voyait que le lac brouillé de nuages blancs. Quand elle voulut partir et reprendre son jogging, le chien grogna. 
- Mais tu m’embêtes à la fin, s’énerva-t-elle, tu crois que j’ai que ça à faire !
Elle resta pourtant. L’eau devenait presque transparente par endroits. Etonnée, elle s’approcha du bord et crut distinguer, sous les eaux claires, une statue drapée d’un voile blanc qui la regardait ; on l’aurait dit vivante. Les aboiements du chien étaient maintenant insupportables :
- Fous-moi la paix Titus, si tu veux que je regarde, fous-moi la paix !
Elle se rendit compte qu’elle commençait à avoir peur. Qu’est-ce qui se tramait sous l’eau ? Ses yeux s’habituaient maintenant aux couleurs et au paysage qui se noyaient dans le lac. Non, ce n’était pas une impression, cette statue était bien là et ouvrait ses bras, comme si elle voulait l’accueillir en son sein ;  non loin d’elle, une main sans chair, lui faisait signe et elle entendait le cliquetis des os de la mort résonner à ses oreilles.  Elle se pinça deux fois, comme lorsqu’elle était enfant. Mais non, elle n’avait pas rêvé, la statue était  là et le chien  aboyait de plus belle. Elle s’énerva :
- Ta gueule Titus !  Et il se tut, surpris de sa réaction.
Elle frissonna légèrement, mit automatiquement sa main dans sa poche - un vieux réflexe d’enfant - et fut surprise d’y sentir un objet inhabituel. Elle exhiba une lame de rasoir, en lissa le tranchant, et se souvint de ce pacte avec Juliette, son amie de toujours :
- Sangs mêlés, amies à jamais, avaient-elles dit alors.
La statue immergée semblait toujours la défier du regard, ses longs cheveux dénoués ressemblaient à ceux de Juliette. Elle avait de si beaux cheveux et quand elle les dénouait, ils frôlaient ses hanches et semblaient aussi vaporeux que les blés que le vent caressait ; mais Juliette ne devait-elle pas disparaître ?
Quand elle regarda autour d’elle, le chien n’était plus là. Des nuages menaçants cachaient maintenant le soleil et la lame de rasoir était toujours dans  sa main droite, presque engourdie. Elle eut la sensation que son ventre durcissait mais ce n’était qu’une sensation furtive, l’enfant n’avait encore aucun pouvoir sur elle, elle en était sûre et elle veillerait à ce qu’il n’en ait jamais. Les cheveux de la statue continuaient de flotter. Juliette aimait trop la vie ; elle lui faisait de l’ombre. L’enfant aussi lui en ferait, mais elle l’en empêcherait de toutes ses forces.
Elle s’approcha si près  du rivage qu’elle faillit tomber et au moment où elle reculait, apeurée, elle entendit au loin une voix crier son prénom qui résonna de mille échos douloureux dans le paysage silencieux. Elle se retourna et se raidit en apercevant Juliette suivie du chien qui lui faisait fête. Se pouvait-il que même son chien préfère Juliette ? Ses longs cheveux châtains clairs ondulaient au vent et son visage rieur montrait qu’elle avait été touchée par la grâce de la maternité. Son ventre s’arrondissait et l’enfant qu’elle portait dessinait harmonieusement la courbe de sa nouvelle vie dans le corps de sa mère. Elle enferma le rasoir dans sa main droite et l’enfonça dans sa poche.
Oui, Juliette était toujours vivante, mais jusqu’à quand ?

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Commentaires
P
A G. Balland : moi aussi je l'aime bien, objectivement... Quant aux "réactions" c'est à désespérer... (voir brève d'aujourd'hui...)
C
Vous savez, c'est jour de vote.
G
Merci de votre appréciation. Cela me rassure un peu car ce texte a suscité peu de réactions... je l'aimais bien, moi pourtant. Mais évidemment, je suis assez peu objective.
P
Nettement plus limpide que les autre celui-ci... Ne me demandez pas pourquoi :D Craquons ! :D
C
J'ai toujours uen préférence pour ces histoires qui à un instant précis se dissocient de la réalité. Comme celle-ci. Je la trouve infiniment belle....
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