Entre chien et loup
J’ai toujours entendu le hurlement des loups, aussi loin que je me souvienne.
La première fois, c’était le jour de ma naissance, au moment où ma tête a surgi entre les cuisses de ma mère dans cette maison au fond des bois. Pourquoi avait-elle accouché là ? Je ne lui ai jamais demandé, je ne lui ai d’ailleurs jamais rien demandé. Elle non plus.
Nous avons vite quitté la forêt, l’homme voulait revoir la ville et se perdre dans le dédale d’un monde qu’il avait connu longtemps auparavant. Nous sommes partis. Lui devant, elle derrière, et moi je les suivais. J’ai toujours été celle qui suivait, prisonnière des mains qui m’avaient sculptée.
Je ne me souviens plus de cette ville, je ne me souviens plus de rien. J’ai juste gardé en mémoire le petit coin de ciel bleu derrière les barreaux de ma cellule. C’est grâce à lui que je suis encore en vie.
Les années ont passé entre chien et loup et maintenant ils sont morts. D’abord elle, puis lui. Tous deux ont rejoint l’autre monde, le jour de mon anniversaire. N’invoquez pas le hasard, je sais que je les ai tués. A chaque mort les loups ont hurlé comme jamais ils n’avaient hurlé, passionnément, puis je ne les ai plus jamais entendus.
Aujourd’hui, je vis dans un jardin entouré de haies de troènes, non loin d’un bassin qu’agrémente une fontaine. Rares sont les visiteurs et je ne m’en plains pas. Quand j’entends des pas je me transforme en statue et nul jusqu’à présent ne m’a pris pour un être vivant, sauf dimanche dernier. Un enfant qui traînait derrière ses parents, ramassant des feuilles mortes à brassées, a donné l’alerte :
- Maman, c’est une fausse, c’est une fausse ! a-t-il crié en courant vers sa mère.
J’ai dû m’enfuir à toutes jambes, je ne veux surtout pas que l’on me croie en vie.