La nuit n'est jamais complète
« La nuit n’est jamais complète », c’est ce que le thérapeute lui avait dit pour terminer l’entretien. Il terminait toujours les entretiens sur une phrase énigmatique qui l’accompagnait jusqu’au rendez-vous suivant. Elle avançait dans la rue Beauvoisine, soucieuse, répétant la phrase en presque zigzagant, quand elle bouscula un homme qui venait en sens inverse Au lieu de s’excuser, elle balbutia « la nuit n’est jamais complète ». L’homme sourit et lui dit :
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée...
Paul Eluard
Elle le regarda stupéfaite et répondit :
- Merci, c’est exactement ce que j’avais besoin d’entendre à ce moment précis. Comment vous pouviez le savoir ? Vous me connaissez ?
- Je ne crois pas. C’est juste que j’aime Eluard.
- Oui, que je suis bête, c’est tout simple. Je pensais que le destin peut-être... puis elle s’arrêta de parler, rougit et, sans que rien ne pût le laisser prévoir, partit en courant sur le trottoir où le soleil avait dessiné de larges flaques de lumières.
Il la regarda s’éloigner jusqu’à ce qu’elle ne fût plus qu’un point à l’horizon et il enferma précieusement, au creux de sa mémoire, le petit bout de vie qu’il venait de partager avec l’inconnue...