Mélancolie
Bientôt la mer aura gagné mon âme et je me réconcilierai avec le pays de mon enfance. Il est là, tout près et je peux presque toucher le buste de celle que je n’ai jamais reconnue. Elle avait la taille trop fine et les cheveux trop sombres pour que je l’aime comme une sœur. Quand enfants nous ramions dans la barque qui nous emmenait vers les prés ou broutaient les taureaux nageurs, j’aurais mille fois voulu la faire disparaître. Il aurait juste fallu que je la pousse. Je ne l’ai jamais fait, par peur. Si nous courions toutes deux dans les prés, j’agitais mon chiffon rouge pour que les taureaux viennent la piétiner, mais ils ne daignaient même pas bouger ; les lâches !
Depuis, le temps a passé. Les nuages sont lourds et je me promène sur les berges de mon enfance en attendant la pluie qui viendra éventrer le ciel pour laver mes souvenirs. Elle, elle a disparu. Je vois encore ses longs cheveux noirs, bien trop épais pour être démêlés par les peignes qui me coiffaient. A elle, il lui fallait toujours autre chose, rien ne lui convenait. Elle était la nuit qui étrangle le jour. Personne n’a jamais su où elle a disparu et pourquoi : c’est notre secret.
Elle est dans cette tache bleu ciel qui pointe à l’horizon. Ma mère l’habillait toujours de bleu et le jour où je l’ai étouffée, dans un accès de rage, elle portait cette jolie robe azur que notre mère lui avait achetée, juste pour elle, elle portait si bien le bleu…