Solitude
J’étais perdue dans la foule, je regardais les hommes qui m’entouraient et je voulais leur parler, mais personne ne me répondait, on m’ignorait. J’ai dû marcher longtemps sans m’arrêter, toujours, encore, droit devant. Je bousculais les gens mais je ne m’excusais pas, pourquoi m’excuser alors qu’on m’ignorait ? Et puis il y avait ce carré bleu, celui que je voulais toucher, ma raison de vivre. Plus je voulais le toucher, plus il s’éloignait… Soudain on m’a rouée de coups et c’est là que j’ai eu la sensation de me réveiller. Mon corps était trempé de sueur. Toi tu dormais paisiblement à mes côtés étranger à mes peurs. J’entendais ton expiration si particulière, comme si tu nageais sous l’eau. Un petit filet de salive s’échappait de tes lèvres. J’ai toujours trouvé attendrissante cette bouche nocturne comme un robinet qui fuit et qu’aucun plombier, jamais, ne pourra réparer. Et puis, je ne sais pas pourquoi, j’ai senti une douloureuse envie de te tuer, toi que j’aime. Il y a des rêves, comme ça, qui étreignent la vie jusqu’à la réduire à une peau de chagrin. J’ai trouvé ton sommeil insupportable. Et je l’ai fait. Oui, je t’ai tué avec la lampe de chevet, celle qu’on avait achetée trois jours plus tôt chez Ikéa ; c’est même toi qui l’avais choisie en vantant sa solidité. C’est vrai qu’elle est solide. Elle a résisté, toi non. Le sang qui giclait de ta tempe me terrifiait et cette fois-ci je me suis vraiment réveillée. Tu dormais paisiblement à mes côtés, un petit filet de salive s’échappait de tes lèvres.
Maintenant, soir après soir, à chaque fois que je me glisse dans les draps, j’ai peur de m’endormir et de te faire mourir.