Le chien
Hier, ma mère a encadré une photo de son chien et elle l’a mise sur la cheminée de la salle à manger. Moi, son chien, je ne peux pas l’encadrer. Enfin si je ne peux pas l’encadrer, ce n’est pas à cause du chien – pauvre bête ! - c’est à cause d’elle. Ce chien la rend dingue. C’est son bébé, comme elle dit. Moi, je veux bien, mais un bébé de ce poids-là et qui se bâfre à longueur de temps, je n’appelle plus ça un bébé mais un monstre.
Il faut dire qu’avant, ce n’était pas un monstre le chien de ma mère, il l’est devenu grâce à elle. Un gâteau à apéritif par-ci, une tranche de gigot par-là, ça vous donne vite l’air d’un monstre. Il me fait même de la peine quand je le vois marcher en tortillant son gros arrière train. Tenez, pour vous dire, quand on lui lance une balle il n’essaie même pas de l’attraper. Il regarde sa trajectoire, imperturbable, et puis après il s’allonge. Même regarder la balle ça le fatigue.
Ah ! Elle a fait du beau travail ma mère. Mieux qu’une castration. Je n’aurais pas aimé être le chien de ma mère. Quand je le regarde, je me demande comme elle m’a élevée, mais il y a prescription. Ma mère a été une bonne mère, comme toutes les mères, c’est bien pour ça qu’il y a la fête des mères, non ? D’ailleurs je crois qu’on devrait instituer une « fête nationale des chiens » parce que les chiens sont des saints.
Moi, si j’étais le chien de ma mère, je l’aurais déjà mordue, et elle m’aurait collé une muselière ou elle m’aurait renvoyée à la case SPA, sans état d’âme ! Parfois, je me demande à quoi il pense, le chien de ma mère. Je suis sûre qu’il a des pensées de pitbull.
Si j’étais lui, je serais névrosée jusqu’à l’os, parce que ma mère c’est un paradoxe vivant : un coup blanc, un coup noir ; un coup c’est son bébé, un coup il la fait suer ; un coup « pas bouger », un coup « dégage » ; un coup elle le vénère, un coup il l’énerve…
Enfin, un à qui le chien a rendu service, c’est mon père. Avant elle le traitait comme un chien et j’ai presque eu peur, au train où c’était parti, qu’il ne finisse au chenil avec une gamelle entre les pattes. Depuis qu’elle a un chien, mon père respire. Le tort qu’il avait mon père, c’est qu’il parlait, le chien pas encore, pourtant : « il ne lui manque que la parole ! » Enfin c’est ce qu’elle dit. En attendant, heureusement pour elle qu’il ne l’a pas. Quand le chien mourra, mon père pourra lui élever un mausolée : si le chien n’était pas là, il serait mort.
Souvent, ma mère dit :
- Le pauvre bébé, si je l’avais pas pris, il serait encore à la SPA !
Là, je dois tenir mes pensées en laisse pour ne pas lui crier qu’il aurait mieux fait d’y rester, le pauvre bébé !
Non, vraiment, plus je vois le chien de ma mère, plus je me plains.