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je-double
20 juin 2009

La collection

C’était un garçon long et mince, plutôt plaisant et prévenant qui depuis deux ans se présentait comme collectionneur, ceci explique peut-être cela. Collectionneur d’un genre un peu particulier, il est vrai ; d’ailleurs, l’objet de sa collection n’était évoqué qu’aux femmes directement concernées. L’idée  lui en était venue après avoir vu au cinéma, l’un de ces soirs de décembre où l’ennui n’a d’égal que l’envie de mourir, la Comédie de Dieu. Le titre l’avait intrigué et la collection du personnage l’avait étourdi, lui qui ne connaissait des femmes que leur lointain parfum.
Lorsqu’il parlait de sa collection, il précisait toujours qu’elle était de celles qui ne se donnent pas au premier venu. « Elle est hors du temps », insistait-il, « les pièces sont rares et chacune d’entre elles est presque un don. » Généralement il en restait là, laissant l’auditeur dans l’expectative.
Il avait choisi pour  exposer ses pièces un album-photos couleur sépia amoureusement revêtu à l’intérieur de petits coussinets de velours rouge où  ses « trophées » - comme il avait fini par les appeler – étaient précautionneusement installés à l’aide d’une pince à épiler.
Sur chaque page, une seule pièce était exposée, avec au-dessous une étiquette où s’inscrivait, à l’encre de chine noire, son nom – chacune avait un nom de femme - et la date de son acquisition. Seules quinze pages étaient remplies.
Il se souvenait, non sans émotion, de l’acquisition de sa dernière pièce. Elle s’appelait « Eléonore ». Il avait rencontré Eléonore lors d’une visite guidée au musée D’Orsay. Tout d’abord, elle ne l’avait pas intéressé, trop fade pensa-t-il, mais cette fadeur ne cachait-elle pas une saveur particulière ? Et il s’attacha à ses pas jusqu’à ce qu’elle lui accordât un rendez-vous au café de Flore le jour suivant. Eléonore n’était pas de ces femmes qui s’épanchent ;  réservée de nature, certainement prompte à s’effaroucher, il ne devait surtout pas la brusquer. Pourrait-il lui demander dès la fin de ce premier rendez-vous ce pourquoi il l’avait invitée ou devrait-il patienter ? Mais elle l’écoutait avec une telle concentration qu’il  lui confia presque immédiatement le but de cette rencontre. Contre toute attente, Eléonore fondit en larmes et, dans un de ces élans du cœur qui le caractérisait, il lui essuya les yeux de son mouchoir en tissu blanc. Inconsolable, elle finit par le lui prendre et se moucha bruyamment. Ses reniflements d’enfant l’émurent. Sans doute aurais-je dû attendre avant de lui exprimer ma demande, se morigéna-t-il intérieurement. Il ne put aller plus avant dans ses remords car elle posa sa petite main blanche sur la sienne et lui chuchota à l’oreille : « Je vais aux toilettes, attendez-moi ! ».
Cinq minutes plus tard, elle se rassit et lui remit dans le creux de la main un  morceau de papier de toilette rose, soigneusement plié, dans lequel il découvrit une fois rentré chez lui, un magnifique poil pubien roux d’une vigueur extraordinaire qu’il plaça à la quinzième page de son album et étiqueta sous le nom d’ « Eléonore ».
Sa collection en arrivait maintenant à la page 15.

collec

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