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je-double
20 février 2011

La boussole

pagenas48

- Il n’y a que toi, je te jure qu’il n’y a que toi !

Elle lui avait répété 20 fois, mais il ne voulait plus la croire, elle ne comprenait pas pourquoi. Elle était devenue lointaine et lui devenait sombre. Il  ruminait, cherchait l’autre sous son parfum et dans l’intimité de la chaleur de son corps, comme un chien que son maître aurait abandonné.
Dehors, le soleil avait repris ses droits, la treille laissait apparaître de frêles bourgeons, la mer au loin rangeait ses gros rouleaux d’hiver et le ciel s’habillait d’un bleu plus profond que les nuages évitaient de narguer.
Tu m’en veux, je sais, disait-elle parfois. Tous les samedis, elle disparaissait dans l’aile droite du château. C’étaient des samedis au goût de fête et elle fredonnait à n’en plus finir.
Lui ne pénétrait jamais dans cette aile qui s’était endormie depuis le drame ; il n’avait jamais voulu y revenir.
- Tu fais quoi, là-bas ? lui demandait-il.
- Oh rien, répondait-elle évasive, je rêve, je fouille, je nettoie ; tiens, j’ai même trouvé une boussole.
Il sursauta.
- Elle est comment ?
Ella la lui décrivit. Oui, c’était bien la boussole de son père, celle que sa mère avait cherché des années.
- Tu l’as trouvée où ?
- Sous une latte du plancher.
Il ne lui demanda pas comment elle avait eu l’idée de soulever cette latte. Elle était amoureuse, il le voyait à la façon dont elle s’apprêtait, au rouge de ses pommettes ou au sourire rêveur qu’elle arborait. Mais amoureuse de qui ? D’un fantôme ?
- Si tu veux savoir ce que je fais, viens avec moi ! Lui dit-elle.
- Cette aile porte malheur, déjà mon père…
- C’est parce qu’il s’est pendu ?
- Oui, dit-il dans un murmure. C’est à cause de ça.
Ce samedi-là, elle partit plus tôt qu’à l’habitude, vers 14 heures, un panier sous le bras dont un linge cachait le contenu. Elle avait mis son chemisier blanc, sa jupe rouge et avait relevé ses cheveux en un chignon désordonné. Deux pendants d’oreille en argent tintaient curieusement quand elle marchait.
- Tu vas où ?
- Chercher la boussole, puisque tu veux tout savoir.
Il haussa les épaules et fit semblant de s’absorber dans un livre. Il la regarda partir, sa jupe balayait presque le sol et ses cheveux se dénouèrent avant qu’elle n’ait franchi le seuil de la porte. Je l’aime, se dit-il, oui je l’aime mais il est trop tard.
- Adieu.
- Adieu ? Elle se retourna, surprise.
Il ne s’expliqua pas et lui fit un signe de la main.
Elle parcourut la longue galerie qui menait à l’autre aile. Elle se demandait si elle le verrait. Parfois il ne se laissait pas approcher, il était craintif, comme tous les suicidés, elle le savait. Elle avait mis des années à apprivoiser son frère, elle avait l’habitude de la mort.
Elle savait qu’elle ne le laissait pas indifférente, c’est tout au moins ce qu’elle comprit le jour où il lui avait montré la boussole, sa boussole, celle que personne n’avait jamais trouvée. Elle l’avait aimé le premier jour où il lui était apparu, comme on aime une ombre qui n’a besoin que de rêves  pour exister. Elle frissonnait quand il s’approchait d’elle,  avait-elle jamais frissonné ainsi quand son mari s’approchait d’elle ? Elle l’avait trouvé si beau, presque aussi jeune que son fils. Il était toujours sanglé dans un costume sombre qui lui donnait un air  sérieux.  Il avait attendu longtemps avant de lui parler, la première fois qu’il l’avait fait, elle fouillait une malle remplie de vêtements. Il l’avait fait sursauter et  s’en était excusé. Ses mots avait été si doux, seul un fantôme pouvait ainsi parler aux femmes... Oui, elle l’avait aimé dès le premier jour.
Maintenant ils se connaissaient depuis deux mois. La fois précédente, il lui avait demandé de faire le serment de ne plus l’abandonner. Elle n’avait dit ni oui ni non, mais elle lui avait apporté ce qu’il lui avait demandé : une corde assez solide pour supporter le poids d’un homme sans se rompre.
Elle se demandait si on pouvait faire l’amour avec un fantôme,  mais elle n’osait le lui demander. La semaine passée il s’était glissé sous sa robe et elle avait ressenti une jouissance telle que les murs en avait résonné. Mais elle, que pouvait-elle saisir de lui ?
- Je t’aime, avait-il murmuré en la voyant arriver. Si je devais te peindre, tu serais la rosée qui accroche ses filaments argentés aux herbes folles.
Il lui demanda si elle avait la corde. Elle la sortit du panier et la lui tendit.
- Et maintenant ? fit-elle d’une voix mal assurée.
Il lui montra la chaise et lui désigna l’endroit où elle devait la placer, à l’endroit exact où la lumière de l’après-midi traçait un halo doré. Quand il lui demanda de prêter serment, elle s’exécuta et quand il lui dit de monter sur la chaise, elle lui obéit.
- Je t’aime, répéta-t-il et un souffle léger s’engouffra sous sa jupe pour endormir son corps.
Il lui passa la corde autour du cou, délicatement, et chuchota à son oreille qu’il n’avait jamais aimé qu’elle. Son fils, le pauvre, savait-il l’aimer ? Avait-il jamais su aimer quelqu’un à part lui-même ?
Elle le supplia de se taire et des larmes roulèrent de ses yeux gris. Il les embrassa en la conjurant de se calmer, que tout allait bien se passer. La corde était maintenant en place et le nœud serrait son cou bruni par le soleil du printemps.
- Tiens, prends ça, dit-il en lui tendant la boussole. C’est comme ça que tu me retrouveras.
Elle sourit, accepta la boussole qu’il lui tendait et fit un signe de la tête. La chaise bascula soudain et son corps fut projeté dans le vide.
- Nous sommes unis pour l’éternité.
C’est ce qu’il lui sembla entendre, mais qui aurait pu confirmer ses dires ?   

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Commentaires
P
Histoire terrifiante, jusqu'où l'amour peut nous mener???
G
Ah non, hein, je sais que le plagiat est à la mode, mais il n'est pas bon de céder aux modes ;.)
C
Oui, la foule fut silencieuse...
G
Wouah, ça c'est une histoire ! Onirique et tragique à souhait. Je vous l'envie cette histoire là, GB, je vous l'aurais bien volée :-)
P
Caro : merci aussi et, comme dit GB, les triangles sont redoutables ! surtout à quatre côtés.
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