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je-double
30 janvier 2011

Le cerveau

Quand il téléphona à l’hôpital, on lui apprit que son père était mort. Il eut juste la présence d’esprit de dire :
- Et pour voir le corps ?
On  lui demanda de se présenter l’après-midi. A l’heure dite, il était à l’accueil de l’hôpital. Une jeune femme lui indiqua le chemin à suivre. Il longea les couloirs couleur crème et prit l’ascenseur pour le sous-sol. La morgue était là.
Quand il se présenta, l’homme en blouse blanche le regarda d’un air embarrassé et finit par lui dire :
- On a un petit souci monsieur, on a perdu le corps !
- Perdu le corps ? Répéta-t-il bêtement.
- Oui, désolé, revenez demain on verra ce qu’on peut faire.
Il n’eut pas le courage de s’énerver. Il repartit en sens inverse, titubant le long  des couloirs qui le menèrent à l’ascenseur. Une fois la porte refermée, il s’évanouit.
Il se réveilla dans une chambre blanche, parfumée de roses. Près du lit, une femme était assise. Le visage brun et long, elle portait une robe en tissus fleuri. Jamais il ne l’avait vue auparavant. Il lui dit faiblement :
- Qui êtes-vous ?
- Tu ne me reconnais pas ?
- Non.
- Muriel, je suis ta femme.
Il la regarda sans comprendre et ajouta :
- Et le corps ?
- Quel corps ?
- Celui de mon père.
Elle eut un regard triste et changea de conversation. Au bout de quelques minutes elle se leva, lui caressa le front et alla chercher l’infirmière.
- Monsieur Durand, lui dit l’infirmière, l’opération s’est bien passée. Vous êtes ici depuis 24 heures et on vous gardera encore quelques jours. Les réveils sont parfois douloureux, il vous faudra être patient. Le repos absolu est obligatoire.
Il n’aimait pas du tout la façon dont elle lui parlait, elle le prenait vraiment pour un  imbécile avec son sourire qui se voulait tranquille et sa main posée sur son avant-bras.
- Je ne comprends rien, renchérit-il.
Elle lui répondit, énigmatique, qu’il n’y avait rien à comprendre, juste à obéir, c’était tout. 
Il préféra fermer les yeux pour la faire disparaître. Quand il les rouvrit, la même infirmière était penchée au-dessus de lui et lui murmurait d’une voix maternelle :
- Inutile de partir, c’est un conseil, maintenant il faut vous reposer.
Il essaya de se lever mais elle le repoussa un peu brutalement.
- Cela ne sert à rien de faire l’enfant M. Durand. Maintenant il est trop tard. Il aurait fallu y penser avant.
- Mais avant quoi ? Hurla-t-il.
- Avant d’avoir rempli votre dossier.
- Mais quel dossier bon dieu ? Elle ne répondit rien et disparut.
Il se rallongea et s’obligea à rassembler sa vie : il s’appelait M. Durand, il avait une femme, un père, il venait de subir une opération et ne reconnaissait plus sa femme. Peut-être était-ce de cette perte de mémoire dont il s’agissait dans le dossier ?
Au bout d’une heure, il sonna pour rappeler l’infirmière. Ce n’était pas la même, celle-ci était plus jeune. D’entrée  il lui dit :
- J’ai un problème au  cerveau, c’est ça ?
L’infirmière hocha la tête pour toute réponse. Mais il ne se contenta pas de ce simple signe et elle se sentit obligée de lui dire la vérité.
- On vous a fait une greffe.
- Alors ce n’est pas mon cerveau, fit il paniqué, et j’ai le cerveau de qui ?
- Impossible de vous répondre, seul le chirurgien…
Hors de lui, il se dressa sur son céans et voulu l’attraper à la gorge. L’infirmière recula, épouvantée.
- Si vous continuez comme ça, on vous mettra la camisole, ce n’est pas dans votre intérêt.
Il se recoucha instantanément. Il était certainement à l’hôpital psychiatrique ; d’ailleurs, le bruit des clefs ne lui avait pas échappé lorsque l’infirmière était sortie de sa chambre la première fois, seulement, il avait préféré ne pas y penser.
Il tenta le tout pour le tout :
- Je suis fou, c’est ça ?
L’infirmière répondit calmement :
- Le chirurgien vous expliquera tout cette après-midi, et elle sortit en fermant la porte à clefs.
Il n’y avait plus aucun doute possible, la greffe ne s’était pas passée comme elle aurait dû.
A 15 heures, le chirurgien entra dans sa chambre, il avait une tête auréolée de cheveux blancs, un air sérieux et une voix qui se voulait chaleureuse :
- Bonjour M. Durand. Je voulais parler un peu avec vous de… euh… de vous.
Il attendit silencieux et le chirurgien se sentit obligé de continuer :
- Vous avez subi une greffe de cerveau, comme vous le souhaitiez, mais le cerveau que l’on vous a greffé n’était pas le bon, voilà. Remarquez,  ç’aurait pu être pire.
Il manqua de s’étrangler, pas le bon, pas le bon, mais lequel aurait-il dû avoir et lequel avait-il ? C’était trop simple de botter en touche. Le chirurgien continua :
- Oui, je sais, ce n’est pas facile à entendre tout ça,  mais je préfère vous dire la vérité. Il y a eu une erreur regrettable dans l’étiquetage des cerveaux. Vous auriez dû avoir le cerveau de votre père, décédé deux heures plus tôt, mais vous avez hérité d’un autre cerveau, et celui-là, on n’aurait jamais dû vous le greffer, on aurait dû s’en débarrasser !
- Mon père… mon père… ? balbutia-t-il 
- Oui, votre père, il vous avait légué son cerveau.
- Et… cet autre cerveau ?
- Eh bien, il vaut mieux qu’on en parle plus tard, éluda le chirurgien. Il conclut  apaisant :
- Maintenant, après une telle greffe, l’important c’est de vous reposer.
L’infirmière lui apporta une pilule rose, bleue et  blanche. Il les avala toutes les trois et  s’endormit comme un bébé. Sans doute entendit-il dans son premier sommeil la lointaine conversation du chirurgien et de l’infirmière mais jamais, jamais il ne sut que le cerveau qu’on  lui avait greffé était celui d’un délinquant sexuel évadé du centre de détention de Fleury Mérogis.
Une fois sorti de l’hôpital et son divorce prononcé, il tenta peu à peu de se reconstruire une nouvelle vie.  Les femmes l’aidèrent beaucoup. Chez toutes – et jamais il n’a compris pourquoi -  il éveillait passion et frissons. Il essayait juste de ne pas les décevoir. Des rumeurs avaient couru sur son passé, mais elles furent bien vites effacées, qui aurait pu croire que… ?
Ce qui l’étonna toujours – et au départ il en conçut une gêne extrême – c’était  cette phrase  rauque – « Je vais te tuer » -  qui s’échappait de sa gorge et semblait le posséder  à chaque fois qu’il  faisait l’amour avec une femme. Mais quel mal y avait-il à ça ?

06_01_11

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Commentaires
P
Oui GB, c'était l'bon temps :D ça me fait plaisir aussi de revoir tout ça :)
P
Très inquiétant ces chirurgiens qui se plantent!!! Heureusement qu'on ne lui a pas greffé une cervelle de poule...<br /> <br /> Je plaisante pour dédramatiser, car en réalité je trouve que ton histoire est à frémir!!!<br /> <br /> Et toujours l'illustration de Patrick qui donne un autre souffle au récit pour nous mettre en condition.... ouah génial :-)
G
OUi, vous devriez vous poser des questions. PEut-être vous a-t-on anesthésiée sans que vous ne vous en rendiez compte... BOn j'arrête de dire des horreurs.
M
Quelle horreur cette "histoire" POUHAAA!!!<br /> - Euh... Mais j'ai a-do-ré !!<br /> - Cette petite cicatrice sur mon cuir chevelu ??<br /> - Parfois je me demande...
L
Super la photo Pastelle, des corps infiniment petits grouillent sur nous ? <br /> Moi aussi, je préfère le cerveau d'un autre plutôt que celui de mon père, serait horrible à vivre !!!
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