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je-double
9 janvier 2011

Le nu

pagenas46

Le  jour où elle sortit nue de chez elle, le quartier s’en émut mais personne n’osa rien dire. Après tout, elle n’avait fait que déposer sa poubelle devant sa porte. On verrait bien si elle recommençait.
La deuxième fois, ce fut sa voisine qui lui téléphona :
- Vous vous rendez compte, sortir nue ? Lui dit-elle de sa voix tremblante.
- Mais de quoi voulez-vous parler Madame Desrien ?
Madame Desrien dut en convenir : la jeune femme ne se  rendait pas compte. Elle rapporta sa conversation à M. Arnaud qui lui répondit qu’autant de naïveté à son âge... et qu’il passerait lui-même voir la jeune femme pour lui en toucher deux mots.
M. Arnaud sortait très peu ; il n’avait jamais eu le goût des autres. Depuis sa dépression nerveuse, qui l’avait tenu éloigné du monde de longues semaines, M. Arnaud ne pensait qu’à cette jeune femme. Son jardin était ouvert à tous les regards et il ne se privait pas de fureter dans les moindres recoins. Rien ne lui échappait, non qu’il éprouvât pour elle une passion charnelle –  mon dieu, non - mais il la désirait autrement.
C’est avec surprise que la jeune femme découvrit M. Arnaud devant sa porte ce samedi après-midi.
- Mademoiselle, commença-t-il solennel, je suis votre voisin d’en face et si je me permets de vous rendre visite c’est à cause de… mais si je pouvais entrer ce serait peut-être plus simple à expliquer.
Elle lui sourit et s’effaça pour le laisser passer. Son intérieur était tel qu’il l’avait imaginé,  même le  «  nu » face à la porte d’entrée était là où il pensait qu’il serait.
- Asseyez-vous, je vous en prie. Je vous écoute, lui dit-elle aimable.
Elle portait une robe simple, bleue, qui mettait en valeur son épaisse chevelure brune. Son regard alla du « nu » à la jeune femme, puis il lui demanda :
- C’est vous ?
- Oui. Il vous plaît ?
- Un très beau nu, convint-il, c’est d’ailleurs pour ça que je suis venu.
- Vous voulez me peindre nue ?
Il s’empourpra, perdit contenance et lui en voulut de le mettre dans l’embarras. Finalement, que savait-il des femmes, lui qui n’avait fait que les suivre ? 
- Je suis modèle, précisa-t-elle, on me paie pour poser.
- Moi, je m’intéresse aux oiseaux, et un corps nu c’est un peu comme un oiseau qui se libère de ses barreaux. C’est comme ça que je vois les choses, je ne sais pas si vous me comprenez.
Elle lui demanda s’il voulait la voir nue avant de la peindre et M. Arnaud devint cramoisi :
- Je ne suis pas peintre vous savez, je suis un homme comme un autre et…
- Je sais, sourit-elle, je sais qui vous êtes. C’est bien pour ça que je vous fais cette proposition.
Elle se déshabilla dans le salon sans manifester aucune gêne. Lui s’était levé, nerveux. Sans doute le prenait-elle pour un voyeur ? Une fois nue, elle s’approcha si près de lui qu’elle frôla sa veste en velours. Il  pensa fugitivement à l’opinel qu’il utilisait au jardin pour tailler les branchages et il se dit que cette plante-là mériterait aussi d’être élaguée pour que tout rentre dans l’ordre.
- Je suis sûre que vous voudriez me tuer, lui chuchota-t-elle à l’oreille.
Comment savait-elle ? Le couteau était maintenant au centre de ses pensées et il dut enfoncer ses ongles dans sa chair  pour oublier. Soudain il revit l’aigle royal, celui de ses 20 ans. Il l’avait souvent vu passer et repasser au-dessus de sa tête, les ailes déployées, et il lui avait demandé de l’emmener  loin de ce monde qui le tourmentait. Mais l’aigle était parti et lui était resté.
- Rhabillez-vous, lui dit-il en mettant la main à sa poche, je peux devenir violent. Vous savez que j’ai déjà... et sa respiration se fit plus saccadée.
L’opinel était bien là, dans le secret obscur du tissu, et ce simple contact le rassura. Il aurait pu la tuer  mais il ne l’avait pas fait.
M. Arnaud tendit à la jeune femme sa robe bleue qu’elle prit presque à regret.  Elle l’enfila lentement.
- Dommage, conclut-elle d’une voix étrange,  j’aurais aimé mourir aujourd’hui.
Elle le raccompagna à la porte. Avant de partir il se retourna, les yeux brillants et lui dit :
- Si vous voulez voir ma volière, n’hésitez pas, j’aurais plaisir à vous revoir,  maintenant que vous savez... et il laissa sa phrase en suspens.

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Commentaires
P
Inquiétant personnage qui se dévoile comme ce modèle vivant!!!<br /> <br /> Ton histoire aurait pu basculé, peut-être à la prochaine visite????<br /> <br /> Patrick ta photo est encore une fois géniale! cette grâce affiché qui tourne le dos au commun des mortels, superbe...
P
Découpez, découpez, il en restera toujours quelque chose, à l'instar de la rumeur :D
S
Je prendrai plutôt un Laguiole. Après un cran d'arrêt je vous découvre vêtu d'une image tissée dans une rencontre.Si j'avais mon massicot je vous découperai un bonjour.
G
Monique : "l'autoportrait au couteau", un super titre qu je garde, merci. Quant aux explications, je n'en ai pas, que des questions...<br /> <br /> Pastelle :Je serais curieuse de voir cette photo. A vrai dire, les choses parfois surgissent sans qu'on y pense !
P
Cette nouvelle me travaille depuis que je l'ai lue.<br /> <br /> Sur plusieurs plans. Déjà cette histoire de modèle et de nu, un monde que j'ai découvert il y a peu de temps, trois mois exactement. Effectivement les modèles qui posent pour des photographes sont aussi à l'aise nues que moi habillée. Si ce n'est plus, bien plus ! Mais autant ça peut paraître "naturel" dans un studio photo ou dans un atelier de peintre, autant c'est différent quand ça se passe dans un salon, comme ici. Et le mode excitation non excitation dont parle Monique peut venir de là, de la situation... <br /> <br /> D'autre part je cherche à quoi cette histoire, ce monde, me font penser. Pas trouvé encore. Mais en aucun cas Marthe Blau. Peut être plus Florence Dugas, "Dolorosa soror". Mais non, c'est plus subtil que ça... Je reviendrai, je vais laisser mûrir le petit neurone que j'ai consacré à cette tâche. :)<br /> <br /> En tout cas merci, c'est une histoire troublante et fascinante. <br /> <br /> Et une belle association avec l'image. Quant à moi je "vois" dans ma tête la photo qui irait avec ce texte. Après l'histoire, cette fois. J'espère pouvoir la réaliser un jour.
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