Le coq
On aurait dit un coq mais personne ne le lui avait jamais fait remarquer, à part sa femme, le jour où il est parti.
Lui était Français, elle Anglaise. Ils s’étaient rencontrés lors d’une soirée mondaine à Paris. Il lui avait tout de suite fait la cour et elle l’avait aimé. Au premier tour de valse sa moustache frémissante lui avait agréablement chatouillé le cou et au quatrième tour il lui avait murmuré « I love you » ; elle avait succombé à son accent français.
Depuis ils s’étaient mariés et habitaient Londres. Il avait rapidement perdu son accent ; quant à ses attentions, il les réservait à sa maîtresse du moment, une « dévoreuse de grenouilles » comme sa femme l’appelait. Elle la détestait. Un jour elle se vengerait mais ce jour n’était pas encore venu.
Il rentrait de plus en plus tard, traînant sa lassitude de la salle à manger au salon et du salon à la chambre où il s’endormait dans le lit conjugal à grands coups de bâillements odieux. Chaque soir, alors qu’il ronflait paisiblement, elle ne pouvait s’empêcher de sentir sa moustache afin de respirer les effluves de la maîtresse honnie. Puis, juste avant de s’endormir, elle imaginait leurs ébats, mais son imagination était limitée.
On lui avait parlé de cours d’un genre particulier donnés par un professeur d’une grande compétence, sans doute devrait-elle s’initier. Elle hésita longtemps ; son éducation, sa position, sa peur des mystérieuses lois du corps… mais n’était-ce pas le meilleur moyen de contrôler les choses ?
On lui donna l’adresse du professeur – « tu ne le regretteras pas » lui avait-on précisé – et elle sauta le pas. Un maître d’hôtel la fit attendre au salon. Elle était toute tremblante, le corps ceint dans une robe noire, austère, qui la vieillissait de dix ans. A peine eut elle le temps de jeter un œil sur les bibelots qui l’entouraient qu’il était déjà là, tel qu’on le lui avait décrit : grand, jeune, le visage avenant, la moustache conquérante et le corps enveloppé dans un peignoir de tissu rouge. Il lui baisa la main et lui demanda de la suivre.
Jamais elle ne regretta aucune des vingt « séances », comme elle les appelait pudiquement.
A la vingtième séance le « maître » lui dit en mode de conclusion :
- Vous savez tout ma chère ! Je n’ai plus rien à vous apprendre mais j’aurais toujours plaisir à vous revoir…
Tout se dénoua ce fameux soir du 25 septembre. Comme à son habitude son mari s’endormit après d’infinis bâillements. C’est alors qu’elle se remémora la dernière leçon du « maître », le jour où il se tenait assis à ses côtés, nu, le sexe au repos :
- Tout est dans l’inspiration ma chère, dans l’inspiration et dans le lâcher prise. Pour cette dernière leçon vous avez quartier libre. Faites de moi ce que vous voulez, je suis votre glaise et vous êtes le sculpteur. Et n’oubliez pas l’objectif du jour, ma chère : notre jouissance mutuelle.
Elle répondit en tout point aux désirs du « maître » qui la félicita chaudement.
Ce soir-là, donc, elle se dénuda et offrit à son mari endormi une petite « mise en bouche », comme le « maître » l’appelait. A peine réveillé, il se laissa caresser en poussant de petits grognements satisfaits ; refuse-t-on une bouche et des mains expertes même si elles appartiennent à sa femme ? Puis, au moment qu’elle jugea le plus opportun, elle s’allongea sur son corps. Adroite, elle changea de position et le chevaucha en lui répétant cette petite phrase préparée depuis longtemps : « Tu es mon petit coq, hein ? Dis-moi que tu seras mon petit coq à moi, rien qu’à moi ! ». Elle tenait habilement les rênes et tous deux ébauchèrent un petit galop dans les gorges du plaisir. Ils auraient pu continuer ainsi quelque temps mais, lassée de ce rythme tranquille, elle accéléra, obligeant son mari à la suivre. Soudain, il émit un cri profond, un cri qu’elle ne lui avait jamais entendu pousser et qui ressemblait à celui d’un guerrier vainqueur. Seulement, jamais il n’eut le temps de lui dire qu’il était son petit coq ; il s’éteignit brusquement en elle.